mardi 29 décembre 2009

Arequipa: ses couvents, ses églises.

De retour du canyon de Colca, nous profitons de la journée du 29 décembre pour nous reposer avant de partir escalader le Chachani, le plus haut sommet autour de la ville d'Arequipa. Cette journée nous permet également de découvrir plus en profondeur les beautés du centre historique d'Arequipa, classé au patrimoine mondial de l'Unesco.

Première visite de la journée au Monasterio Santa Catalina. Construit en sillar, une roche volcanique blanche très utilisée dans la région d'Arequipa, ce couvent est sans doute l'édifice le plus impressionant d'Arequipa, véritable ville dans la ville. Fondé en 1579 par une riche veuve espagnole, ce couvent dominicain compta jusqu'à 450 religieuses. Il était du dernier cri pour les riches familles espagnoles d'y envoyer une de leurs filles, en général la cadette, accompagnée évidemment d'une généreuse dot. Cela devait faciliter leur propre entrée au paradis. Les religieuses pouvaient avoir jusqu'à 4 servantes, organiser des réceptions... Mais en 1870, le pape décida de mettre fin à ses privilèges et les pensionnaires du couvent de Santa Catalina durent revenir à une vie plus humble. Le couvent ne compte plus aujourd'hui qu'une trentaine de religieuses, autorisées, depuis la visite du pape Jean-Paul II en 1985, à communiquer avec l'extérieur et à sortir du couvent.

Suite aux tremblements de terre de 1958 et 1960 qui dévastèrent une grande partie de la ville d'Arequipa, le couvent fut en grande partie rénové et ouvert au public en 1970.

Quelques traces laissées par les seïsmes successifs...

La visite du monasterio Santa Catalina est passionante, avec ses magnifiques cloîtres peints de rouge ou de bleu et dont les murs sont décorés de superbes fresques, ses places ornées de fontaine, ses rues bourrées de charme qui portent le nom de villes espagnoles, probablement celles dont étaient originaires les religieuses: calle Sevilla, calle Cordova, calle Burgos, calle Malaga...






Le parloir où les religieuses pouvaient communiquer avec leurs proches, à l'abri d'une grille.

La cour du silence où trône un superbe ficus.

Le cloître des novices




Le cloître des orangers

Le cloître principal et l'église Santa Catalina.






En se promenant dans le couvent, on découvre petit à petit la vie des religieuses depuis la fondation du monastère:

les chambres des novices et des religieuses ayant prononcé leurs voeux: elles avaient le droit à 25 meubles et objets dans leur chambre, pas un de plus...





les cuisines

la salle consacrée aux veillées funèbres

l'ancienne infirmerie où est exposé aujourd'hui un magnifique Saint-Michel attribué à Zurbaran

Les jardins et vergers où les religieuses aimaient à se promener

Un lavoir en plein air avec de grandes demi-jarres pour laver et évacuer l'eau


Les toilettes du 19ème: une chaise en bois... avec un trou





Le couvent compte également une galerie de peintures, qui étaient données au couvent par les familles des futures religieuses lorsqu'elles ne pouvaient pas payer l'intégralité de la dot.


Après la visite du monasterio Santa Catalina, bref passage dans l'église la Compania, fondée par les Jésuites au XVIIème siècle. La façade d'entrée de l'église est superbe, et en pénétrant dans les murs du bâtiment, on peut admirer un grand retable de bois sculpté doré du XVIII ème siècle, et une jolie crèche installée à l'occasion des fêtes de Noël.







Enfin, dernière visite de la journée au couvent carmélite de Santa Teresa, un peu moins impressionant que celui de Santa Catalina, mais dont la visite s'avère également très instructive, avec un très joli cloître, une salle capitulaire ornée de superbes fresques murales, et de nombreuses petites salles décorées de peintures et de sculptures données en dot par les familles de religieuses. Fondée il y a près de 3 siècles, ce couvent abrite encore 21 religieuses, comme tous les couvents carmélites. Il comptait autrefois beaucoup plus de pensionnaires, près de 250, mais il fut décidé de mettre fin à la vie sociale trépidante des religieuses pour que celles-ci puissent se consacrer à leur vocation de prière. Le nombre religieuses fut donc diminué à 12, comme le nombre des apôtres, puis finalement augmenté de nouveau à 21 (en inversant le 1 et le 2), parce que 12 vraiment, cela faisait un peu vide. Pour qu'une nouvelle religieuse puisse entrer au couvent, il faut donc attendre que l'une d'entre elles vienne à mourir.






Contrairement aux religieuses dominicaines de Santa Catalina, les carmélites de Santa Teresa vivent recluses, sans le moindre contact visuel avec l'extérieur. Lors de la visite du couvent, on observe cependant un certain nombre de photos très émouvantes, qui permettent de découvrir le quotidien de ces femmes ayant choisi de se dérober aux yeux du monde pour se consacrer à une vie de prière.

Le conte du Nouvel An

Pour tous nos amis lecteurs, voilà un comte écrit par Joaquin, le couchsurfeur chilien qui nous avait accueilli lors de notre passage à Santiago. Il écrit aussi de la poésie, si vous préférez les textes originaux à notre modeste traduction, vous pouvez aller voir son blog http://tintayniebla.blogspot.com/

Un très joyeux réveillon et une bonne année 2010 à vous tous

Guillaume et Steve



Chanson parmi les corbeaux

Par un marcheur insomniaque

Je marchais depuis plusieurs jours dans les montagnes lorsque, de façon quasi imperceptible, le sentier de terre et de cailloux se transforma en un chemin de pierres carrées et régulières, les falaises à mes côtés se polirent en des formes géométriques, jusqu'à ce qu'au détour d'un virage ne surgisse la ville.
Elle surgissaiau milieu du gris des montagnes, tel un bourgeon, une gemmation fongique, avec ses centaines de tours de pierre qui, grises elles aussi, semblaient se fondre dans le paysage. Si on n'y avait pas prêté attention, on aurait pu croire qu'il ne s'agissait pas d'un lieu colonisé par les hommes, mais d'une étrange formation naturelle, une créature diforme née de la Terre et des étoiles; ou un jeu d'échecs au milieu des falaises.

Alors que je marchais dans ses rues étroites, je me demandais quel genre d'êtres humains avait pu construire cette ville dépourvue de toute chaleur: les maisons étaient hautes et leur forme anguleuse les rendait désespérément tristes, les rues ressemblaient à des grottes, et les rares places à un cimetière de fenêtres, une prison dont les murs étaient les coins de rues. Quoi qu'il en soit, les mystérieux et lugubres bâtisseurs de cette ville l'avaient abandonné depuis longtemps, la laissant à la merci des corbeaux. Où que se porte le regard, on entrevoyait leurs ombres noires , et leurs croassements devinrent bientôt le fond sonore du lieu, sans pour autant cesser de m'angoisser. J'ignore ce qui m'effrayait dans leurs cris, peut-être une vague mémoire raciale, héritée du temps où nous étions souris, et où les corbeaux épiaient dans la nuit, tels les fatals hérauts des étoiles; et encore aujourd'hui, ils provoquaient en moi cette terreur primaire, cette terreur faite de croassement, de plumes et de griffes. Cette noire terreur qui me faisait comprendre que cette ville n'était pas la mienne, et que je n'étais pas le bienvenu.

Je décidai de traverser la ville et d'essayer de passer la nuit dans un lieu plus accueillant. En marchant, j'avançais peu à peu vers la nuit, vers une ville plus froide et obscure, le long d'un chemin vaguement teinté de rose et de tombée du jour.
Mes pieds me portaient vers un monde incertain, peuplé d'ombres et d'une cacophonie de croassements, un langage nocturne qui me murmurait les peines de la ville. Au passage d'un coin de rue, je vis un carré de lumière se dessiner dans la noirceur du paysage. Je m'approchai, anxieux, sans trop savoir à quoi m'attendre. Peut-être une présence humaine? Un ermite perdu dans les montagnes? Une noire silhouette se découpait contre la faible lueur d'une bougie. Une femme était assise face à la fenêtre, par laquelle elle regardait de façon distraite. Elle avait la peau claire, et un visage agréablement arrondi. Ses yeux, comme s'ils m'avaient tout juste remarqué, m'observaient depuis un univers teinté de bleu. Ce regard contenait une invitation, un appel qui m'attirait depuis le bleu de ses yeux, un bleu chaleureux, aimant, caressant.

Une porte qui grinçait un peu. Des escaliers instables et bruyants. Une entrée menant vers un temps lumineux, vers un refuge entouré par les bougies qui se consumaient sur la table.

Bonjour? Je fus le premier à parler, lui tendant la main à travers mes paroles, espérant qu'elle la prendrait.
Bonjour. Qui es-tu?
Je suis... euh... je suis Joaquin.
Ton nom en m'intéresse pas. Qui es-tu?
… je suis un poète, un voyageur, un immigré, un déraciné.
Je ne veux pas non plus savoir ce que tu es. Qui es-tu?

Comme pour renforcer le catégorique de sa question, elle se leva, s'éloignant de la fenêtre et s'approchant de la lueur des bougies, où je pus enfin la voir avec clarté. Elle était juste un peu plus petite que moi, vêtue d'un gilet pourpre, large et non ajusté, qui la couvrait jusqu'aux genoux. Sa peau claire et le feu de sa chevelure renforçaient le bleu de ses yeux, et ses lèvres formèrent un sourire.
Je … je ne sais pas qui je suis. Je ne l'ai jamais su. N'est-ce pas par hasard le cas de tous les voyageurs?
Mais nombreux sont ceux qui traversent leur vie, qui traversent leurs jours, en croyant que leur essence est condensée dans le texte de leur carte d'identité ou dans le contenu de leur valise.
En entendant cela je ris aux éclats, peut-être pour essayer de chasser la nervosité que provoquait en moi cette situation.
Il y a bien longtemps que j'ai jeté ma carte d'identité dans le fleuve, et tout ce qui me reste est une plume et un cahier, avec lesquels j'écris de la poésie.
Tu n'as pas besoin de cela pour écrire de la poésie. Tu peux le faire avec les pieds, avec les yeux.
… avec la bouche...
Je m'assis sur le sol, repoussant quelques livres et étirant mes jambes vers la fenêtre. Elle s'assit à côté de moi, mais dans le sens opposé, me regardant de face. Depuis ses yeux montait une chanson, un désir pareil à la danse fulgurante des vers luisants, un pont qui nous unissait ici, protégés des corbeaux. Je parlai, franchissant ce pont.
Et toi, qui es-tu?
Quelqu'un comme toi.
Cela veut-il dire que tu l'ignores aussi?
Bien sûr que je l'ignore. Dire qu'on le sait est la plus grande des hypocrisies, c'est une stupidité. C'est se voir dans le miroir et penser que l'image qui apparaît sur ce verre froid et plat constitue tout ce que l'on est. C'est contempler les murailles que nous bâtissons et prétendre qu'il s'agit du monde.
C'est pour cela que je voyage. Le nom, le travail, l'identité, me semblent être des murailles bien plus hautes et catégoriques que les vraies murailles. Peut-être qu'en traversant les frontières physiques, je trouverai un moyen de franchir les symboliques.
Voilà donc pourquoi tu écris de la poésie en marchant.
Oui, mais aussi en attendant, en observant, en vivant. Je veux écrire un poème avec ma vie, avec mon corps, un poème qui contienne le vent, la mer, les chuchotements des caresses furtives et les baisers secrets de minuit. Je veux trouver ce poème et me transformer en lui.
Mais on en trouve jamais cela en le cherchant. C'est quelque chose qui arrive, depuis les desseins secrets de la vie. C'est une poésie chaotique, écrite en dehors du domaine de la volonté.
Mais nous pouvons la vivre et en faire l'expérience lorsque nous la rencontrons, comme maintenant, car je sais que tu fais inévitablement partie de mon poème.
Pendant que je parlais, je lui pris la main et je l'attirai vers moi. Avec un regard complice, elle me dit:
Ce n'est pas moi que ton poème contient, mais cet instant, ce refuge, et ce baiser.
Ses lèvres me firent descendre lentement et délicieusement vers un rêve de caresses et de gémissements. L'hiver habitait sa peau, et spasme après spasme, mes mains l'en chassèrent. Ses seins de marbre me chantaient une chanson de sirène, primitive, inexorable. Nous luttâmes ensemble contre la nuit, alors que s'éteignaient les bougies. L'obscurité se laissa tomber sur nos corps nus, pendant que nos ventres s'unissaient dans une étreinte fiévreuse. Fatigué et heureux, je m'endormis dans ses bras.

Quelques heures plus tard, la frontière de l'aube me rattrapa, alors que je me défaisais des vêtements du sommeil. Je regardai autour de moi, mais je vis simplement les bougies éteintes et les livres. Je m'habillai, triste et déçu au souvenir de ses yeux et de sa peau. Alors que je m'apprêtais à sortir, je vis sur la porte une lettre, au dos de laquelle était écrit: “Pour toi”. A l'intérieur elle avait dit simplement: “ Dans la vie, seul ce que l'on trouve sans le chercher vaut vraiment la peine; et la poésie, notre poésie, fut une créature animée d'une vie propre, qui nous a trouvé cette nuit entre les bougies. En entendant sa voix qui montait du papier, et en me souvenant que je ne savais pas -et que peut-être jamais je ne le saurais- je pleurai, pour moi, et pour le poème qui nous avait trouvé et s'en était allé.

Seul et accablé, je sortis dans la rue, dans la vie, pour être reçu par les corbeaux.

Sur les terres des condors, seigneurs du canyon de Colca

Le samedi 26 novembre, départ pour le Canyon de Colca, à 180 kilomètres au nord d'Arequipa. Commençons par une présentation du lieu en quelques chiffres. Le canyon mesure 100 km de long et dans sa plus grande profondeur, près de 3400 mètres. Il est devenu une des grandes attractions touristiques de la région, pour la beauté de ses payasages et le vol majestueux des condors que les plus heureux auront la chance d'observer.



Il y a tout de même 5 à 6 heures de route entre Arequipa et Cabanaconde, le dernier village du canyon de Colca d'où commence la randonnée. Nous avions donc prévu de prendre le bus de 6 heures pour pouvoir marcher dès le premier jour. Lever à 5 heures donc, pour apprendre en arrivant à la gare routière que le bus de 6 heures était plein... Le temps de rentrer chez ana maria pour une petite sieste, et nous voilà repartis vers le canyon de Colca. Le temps aussi pour Steve d'être victime d'une foudroyante intoxication alimentaire à cause d'une boîte de lait chocolaté Gloria à l'apect pourtant bien innoffensif. Il passera les 6 heures de trajet à dormir, en croisant les doigts pour être de nouveau en forme pour la randonnée du lendemain.

Comme souvent, le trajet en bus, bien que fatigant, nous offre de superbes panoramas sur la cordillère des Andes.



Nous arrivons finalement à Cabanaconde vers 19 heures, à la tombée de la nuit. Nous passâmes la nuit dans un hôtel recommandé par des amies belges rencontrées à Huaraz. Steve fila directement se coucher, et quant à Guillaume, il eut la chance de déguster un délicieux steak d'Alpaca en compagnie d'un groupe de jeunes routards allemands, irlandais et portuguais.

Le lendemain matin, Steve avait quelque peu récupéré et semblait prêt pour la randonnée dans le canyon. Nous descendîmes donc vers San Juan de Chucho, dans le fond du canyon, 1000 mètres plus bas que Cabanaconde, à un rythme soutenu puisque nous effectuâmes la descente en une heure et demie contre les quatre heures qu'on nous avait promise.



Les paysages sont superbes, très secs car les pluies ne sont pas encore arrivées, sauf dans le fond du canyon où la verdure semble lutter contre la sécheresse. Une fois la pluie venue, normalement à partir de décembre mais vraisemblablement cette année plutôt en janvier, les flancs du canyon se couvrent de fleurs et de verdure, ce qui rend les payasages encore plus impressionants...



La remontée sur l'autre flanc du canyon vers un village nommée Tapay situé à 2650 mètres d'altitude, fut sans doute la partie la plus difficile de la journée. 450 mètres de dénivelé entre midi et une heure, en plein soleil, c'est assez usant.



L'arrivée à Tapay, enfin...
Mais nous arrivâmes finalement à Tapay après une heure de grimpette, avant de redescendre à nouveau vers le fond du canyon, à deux heures de marche supplémentaires.



Là nous attendait la bonne surprise de la journée. Au fond du canyon passe un fleuve qui transforme des payasages secs et désertiques en une oasis couverte de verdure.

Quelques petits hôtels ont été installés dans cette oasis pour accueillir les randonneurs fourbus par leur journée de marche. Tous disposent même d'une petite piscine où l'on peut piquer une tête pour délasser ses jambes fatiguées par les montées et descentes dans le canyon.





Le lendemain matin, réveil à 6 heures et départ à 7 heures, après un petit déjeuner fait de riz et de truites grillées, pour la remontée vers Cabanaconde et ses 1000 mètres de dénivelé. Là encore, on nous avait promis 3 à 4 heures de marche, mais cette fois, en pleine possession de nos moyens, nous atteignîmes le sommet du canyon en moins de deux heures. Remontée assez fatigante tout de même, que nous fûmes bien contents d'avoir effectués à la fraîche, avant que le soleil de midi ne vienne frapper de toute sa force les flancs du canyon.






Une fois arrivés en haut, quand on regarde ce qu'on a monté, on en a presque le vertige...

Sur le chemin du retour, nous nous arretâmes une petite heure au mirador de la cruz del condor, prisé par les touristes pour les suberbes panoramas sur le canyon de Colca, et pour les condors qui sortent parfois plâner au dessus du lieu.


Nombreux étaient les déçus qui nous avaient dit avoir passé plusieurs heures au mirador sans pouvoir contempler un seul de ces superbes oiseaux. Mais il semblait que ce fut notre jour de chance, puisque dix minutes à peine après notre arrivée, un condor traversa le canyon, passant au-dessus de la tête de Guillaume et devant les yeux de Steve. Ce moment magique ne dura qu'un instant, mais nous ne sommes pas prêts d'oublier le vol majestueux du maître du canyon de Colca.

A défaut de la photo du vrai condor, voilà celle de la statue de la plaza de armas de Cabanaconde...

... et celle d'un gros lézard qui attendait avec nous l'arrivée du maître des lieux.